Il
est beaucoup question à l'heure actuelle de « transition
énergétique » . Sous ce vocable tout le monde ne
met pas la même chose . Pour certains, il fait penser à la baisse
à venir de l'approvisionnement en pétrole puis en gaz. Pour
d'autres , on désigne ainsi le remplacement souhaité d'une partie
du nucléaire par autre chose.....
Michel Perrut , polytechnicien, chef d'entreprise en Lorraine (SEPAREX),
nous livre ses réflexions sur la politique énergétique
de la France . Il nous dit la place cruciale de l'énergie dont les
impacts sont divers , certes sur l'environnement mais aussi sur l'économie
et le social. Il évoque la production des gaz à effet de serre
mais insiste sur la nécessité de ne pas en faire une préoccupation
première.
Et l'Europe dans tout ça? Michel Perrut n'hésite pas à
dénoncer l'inexistence d'une politique énergétique de
l'Europe.
Ci-dessous l'analyse de Michel Perrut :
Eléments de réflexion sur la politique énergétique
de la France
Alors que va s'engager le débat sur la « transition énergétique
», il me paraît opportun de rappeler les éléments
suivants afin d'éclairer ce débat qui est pollué par
nombre d'idées fausses distillées dans tous les médias,
en particulier par les nombreux « donneurs de leçon ».
L'énergie : Un élément fondamental du développement
humain
Depuis la nuit des temps, l'Homme a tenté de trouver et d'exploiter
l'énergie disponible dans la nature pour lui apporter une aide dans
sa quête de nourriture, la chaleur pour conquérir de nouveaux
territoires plus hostiles, et un minimum de confort pour assurer sa survie
au delà de l'utilisation de sa propre force physique ou de celle de
ses animaux. Ceci explique que la quantité d'énergie effectivement
utilisée par l'Humanité n'a fait que croître avec sa population
et son souhait d'améliorer ses conditions de vie. L'utilisation de
l'électricité a été, et reste, l'outil clé
de son développement et l'indicateur de son progrès, et ceux
qui en bénéficient de façon si « naturelle »
jusqu'à parfois la gaspiller, ne sauraient oublier qu'une partie importante
de la population mondiale n'y a encore pas accès ou de façon
très limitée et intermittente.
L'énergie : Une industrie à fort impact environnemental
Toute source d'énergie présente un fort impact environnemental.
Pour être souvent cité, cet impact donne lieu à de graves
confusions sur ses différentes composantes:
-Impact par l'émission de polluants, c'est à
dire d'éléments présentant une toxicité pour les
êtres vivants, que ce soit des rejets dans les eaux de surface et les
nappes phréatiques (hydrocarbures, goudrons, produits chimiques, radioéléments)
et dans l'atmosphère comme les oxydes de soufre et d'azote et les poussières
(chaudières, nanoparticules Diesel).
- Impact du fait des déchets solides potentiellement
dangereux produits durant l'exploitation des usines (combustibles nucléaires
usés, cendres volantes des centrales thermiques, résidus pétroliers,
goudrons de charbon, etc.) et lors de leur démantèlement : sols
et nappes phréatiques pollués, pièces de centrales nucléaires
contaminées par des radioéléments.
- Impact par l'émission des gaz à effet de serre,
qui sans présenter de toxicité pour les êtres vivants,
sont susceptibles par leur accumulation dans l'atmosphère de modifier
le climat en entraînant la hausse des températures: C02 issu
des combustibles et méthane issu de sources naturelles (fermentations,
animaux d'élevage) ou de fuites sur les puits et gazoducs.
-Impact par le réchauffage des eaux des fleuves et rivières
du fait du nécessaire refroidissement des centrales thermiques produisant
l'électricité quelle que soit la source de chaleur (combustible
fossile, bois, nucléaire).
- Impact indirect par la consommation considérable d'énergie
requise lors de la fabrication des moyens de production énergétique
: C'est le cas pour les capteurs solaires photovoltaïques puisqu'il faut
7 ans au moins pour que soit produite autant d'électricité que
celle consommée
pour les fabriquer (!). 1l en est de même pour les biocarburants aujourd'hui
décriés du fait de leur énorme impact environnemental
(déforestation, utilisation massive d'eau, d'engrais et de pesticides)
et sociétal (destruction des systèmes sociaux).
Il est dangereux de focaliser l'attention uniquement sur les émissions
de gaz à effet de serre car les rejets de polluants toxiques sont dangereux
avec un effet immédiat sur les êtres vivants, ce qui n'est pas
du tout le cas des gaz à effet de serre ! Il est important de souligner
que l'utilisation du charbon et du lignite - en forte augmentation en Chine
et en Allemagne - causent des dégâts environnementaux qui vont
bien au-delà de leur contribution au changement climatique. On ne peut
donc juger de l'impact environnemental d'une source d'énergie qu'en
incorporant toute la chaîne de transformation et l'analyse du cycle
de vie des usines concernées.
L'énergie : Une industrie à fort impact économique
et donc sociétal
Les politiques énergétiques ont un énorme impact sur
la croissance économique et, au delà, sur les modes de développement.
L'histoire a montré que l'exploitation du charbon en Angleterre, puis
en Europe, puis ensuite dans différentes parties du monde, a été
le moteur du développement économique depuis le XV11ème
siècle avant que celle du pétrole ne devienne le « fuel
» de celui du XXème siècle. C'est également par
les investissements nécessités par l'exploitation, le transport,
la transformation et la distribution de ces sources d'énergie «
concentrées » à la différence des sources «
réparties » (bois, vent ou eau antérieurement) - qu'on
explique l'essor du système capitaliste comme mode d'organisation économique,
devenu quasi universel. Mais la centralisation des moyens énergétiques
a également induit l'organisation sociétale des pays industrialisés
et, aujourd'hui, modifie rapidement celle des pays « émergents
», voire même celle des pays « moins avancés ».
Le prix de l'énergie est un élément central d'organisation
économique : La reconstruction rapide de l'Europe après guerre
et le « boom » des Trente Glorieuses n'ont été permis
que par l'accès à très bas prix aux immenses champs pétroliers
du Moyen 0rient, et ce boom s'est mué en croissance réduite
dans nos pays depuis 1975 du fait de la forte augmentation des prix du brut,
avec la régression de notre industrie au profit de zones où
le très bas coût du travail compense celui de l'énergie,
et la mutation vers des activités à faible intensité
énergétique et forte innovation.
1l n'est pas besoin d'être devin pour prédire que toute politique
énergétique qui conduirait à une augmentation sensible
du prix de l'énergie - en particulier de celui de l'électricité
-, entraînerait immédiatement l'accélération du
déclin industriel avec la disparition définitive des industries
« énergivores », même celles à haute valeur
ajoutée et fortement exportatrices (chimie, aluminium, métallurgie
fine, etc.) et certaines industries « écologiques » (recyclage
des métaux, des plastiques, fabrication de panneaux solaires, etc.)
alors qu'elles ont pu subsister et se développer grâce au prix
bas de l'électricité dans notre pays [On notera que l'industrie
allemande n'a jusqu'ici échappé à cet effet que parce
qu'elle bénéficie de tarifs maintenus à un niveau artificiellement
bas, la hausse considérable du coût de l'électricité
y étant intégralement répercutée sur les consommateurs
particuliers.]
L'importance du prix de l'énergie dans de nombreuses industries
est telle que l'impact de tout accroissement significatif des prix, et particulièrement
de celui de l'électricité, risque d'être dévastateur
et de ruiner des secteurs entiers.
Une dimension mondiale
Aujourd'hui, l'accès à une énergie « concentrée
» et largement disponible à bas prix est l'enjeu majeur des rivalités
internationales et c'est un truisme de dire que toute politique énergétique
doit intégrer les données géopolitiques tant l'énergie
est l'objet des plus grands échanges internationaux (en volume et en
valeur) et, donc, la clé de tant de conflits. 1l est facile de prévoir
que la raréfaction de certains produits énergétiques
de base, comme le pétrole, ne fera qu'exacerber ces conflits et, malheureusement,
induire son cortège d'affrontements, de chantages ou de guerres. Le
conflit actuel en Ukraine en est une illustration avec le formidable levier
dont dispose la Russie vis à vis des pays européens du fait
de leur dépendance à leur approvisionnement en gaz naturel.
Mais, il ne faut pas non plus sous estimer les moyens financiers colossaux
ainsi transférés à certains pays producteurs d'hydrocarbures,
qui utilisent de plus en plus cette manne non seulement pour investir financièrement
dans nos pays - au risque de déstabiliser certains secteurs comme l'immobilier
à Londres ou à Paris - mais aussi pour investir culturellement
via leurs médias, leurs équipes sportives et leurs « prêcheurs
» qui commencent à impacter des pans entiers de nos sociétés
multiculturelles lorsqu'ils propagent le wahhabisme ou la charia, sans que
nous n'osions les en empêcher de peur de déplaire et de voir
s'évanouir des rêves d'investissements élevés et
des commandes (surtout militaires) conséquentes.
De plus, on ne saurait ignorer que plus les pays industrialisés consommeront
de combustibles fossiles, plus les prix augmenteront et deviendront inaccessibles
aux pays les moins avancés, les maintenant durablement en sous développement.
Car les combustibles fossiles sont les seules sources d'énergie qui
peuvent permettre, dans un premier temps, leur décollage économique.
Essayons donc aussi de penser à eux lors de la définition de
nos choix énergétiques.
Diminuer notre dépendance énergétique vis-à-vis
des pays producteurs d'hydrocarbures est une nécessité pour
préserver notre avenir, non seulement en termes économiques,
mais également en termes sociétaux.
Une Europe de l'énergie inexistante
Face à ces défis, force est de constater l'absence totale de
politique au niveau européen, au delà des échanges d'électricité.
1l n'est pas surprenant que, vu la grande disparité des « mix
» énergétiques des différents pays, les prix de
l'électricité payés par les consommateurs y soient très
variables, variant au moins de 1 à 2 selon les pays, la France ayant
les prix parmi les plus bas, alors que les plus hauts sont ceux du Danemark
et de l'Allemagne où la facture s'alourdit rapidement à mesure
que se met en place la transition énergétique avec l'arrêt
des centrales nucléaires et la montée en puissance des énergies
renouvelables largement subventionnées... par les consommateurs.
Aucune coordination n'a été mise en ?uvre, sauf l'affirmation
de réduire fortement les émissions de gaz à effet de
serre de façon uniforme, ce qui est stupide vu l'extrême variation
des émissions selon les pays. Cet engagement a d'ailleurs été
immédiatement ignoré par l'Allemagne qui, par son recours de
plus en plus important au charbon et au lignite, recommence à augmenter
ses émissions de C02 alors même qu'elles sont, par habitant,
bien plus élevées qu'en France ; de même en Pologne, qui
est un gros producteur de charbon. Que dire également de l'effet pervers
des politiques de soutien massif aux énergies renouvelables intermittentes
qui imposent la priorité de fourniture avec des tarifs de rachat très
attractifs pour l'électricité solaire ou éolienne : Ces
décisions ont ruiné les exploitants des centrales de turbines
à gaz qui sont les seules susceptibles d'assurer les crêtes de
consommation électriques en hiver , entraînant la mise à
l'arrêt d'installations représentant une puissance installée
de plus de 10 000 MW et créant les conditions de pannes géantes
du réseau européen tout entier dont le coût serait considérable.
De plus, il faut souligner la nécessité d'une unification des
normes et des taxes sur l'énergie (taxe intérieure sur la consommation
d'énergie T1CE) pour éviter un dumping intra européen
pour attirer les industries les plus énergivores.
Il ne fait pourtant aucun doute que, dans le domaine de l'énergie
comme dans bien d'autres, la coordination européenne serait très
profitable: C'est en effet une condition nécessaire à la mise
en place d'une industrie puissante dans les domaines de la production (nucléaire,
thermique classique, biogaz, énergies renouvelables) et de l'utilisation
rationnelle de l'énergie (bâtiment, transport, etc.), mais également
à la création d'un rapport de force face aux pays producteurs
de combustibles fossiles dont nous aurons encore besoin pour longtemps.
La situation française actuelle
Voyons l'évolution de la consommation annuelle d'énergie (exprimée
en Tonnes équivalent pétrole TEP/an) au cours des vingt dernières
années sur les tableaux2 ci dessous. 0n constate que cette consommation
reste quasi stable depuis des années, avec une lente baisse des consommations
de charbon et de pétrole, une stabilisation de celle de gaz naturel
et une augmentation significative de celle d'électricité (stabilisée
depuis la « crise ») et de celle des énergies renouvelables
(bois, biogaz, déchets).
(Source : Observatoire de l'industrie électrique.)
La répartition selon les secteurs de consommation montre une baisse
importante de la consommation de l'industrie - liée à la baisse
continue de l'intensité énergétique par unité
de richesse produite comme le montre la figure ci dessous, mais également
au déclin industriel du pays - alors que les consommations en résidentiel
tertiaire, en transports et en agriculture qui avaient beaucoup augmenté
avant 2001 sont désormais stabilisées, mais n'ont pas entamé
de décroissance.
Alors que des efforts très importants ont été réalisés
par l'industrie, ces quelques chiffres montrent clairement que les efforts
d'économie doivent prioritairement porter sur les secteurs des transports
(transports en commun versus transports individuels, optimisation du rendement
des moteurs, éviter les transports de marchandises « parasitaires
» et inutiles en privilégiant les « circuits courts »,
etc.) et du résidentiel tertiaire (isolation thermique des logements,
magasins et bureaux, optimisation par la domotique, compteurs électriques
« intelligents », pompes à chaleur, etc.).
Pour ce qui concerne l'émission de gaz à effet de serre, la
France occupe une place particulière parmi les pays industrialisés
du fait de l'importance de sa production d'électricité primaire
(nucléaire et hydraulique) : Ainsi, en 2011, l'émission annuelle
moyenne de C02 est estimée à 5,60 tonnes/habitant en France,
mais à 9,10 en Allemagne et en Belgique, à 15,60 au Canada et
17,30 aux Etats Unis. De plus, alors que cette émission a baissé
en France au cours de dix dernières années, elle a plus que
doublé en Chine qui est maintenant le plus gros émetteur mondial
et dépasse même la France en émission par habitant. Ceci
ne saurait justifier l'immobilisme mais il faut raison garder quand on sait
que la seule augmentation des émissions de C02 chaque année
en Chine est supérieure à la totalité des émissions
de notre pays ! Dans le même temps où l'on culpabilise - parfois
à juste titre - les Français sur leur contribution à
la modification climatique, comment avoir un message crédible quand
on voit l'odieux gaspillage des pays producteurs de pétrole : 1mmenses
hôtels et centres commerciaux climatisés, terrains de golf en
plein désert (au prix du dessalement de l'eau de mer) et, comble absolu,
stade de football climatisé au Qatar pour pouvoir jouer par 50°C
à l'ombre ?
La politique énergétique ne saurait être fondée
QUE sur la diminution des émissions de CO2 comme on l'entend dire trop
souvent, mais elle devrait intégrer également notre intérêt
à long terme sur les plans économique (prix de l'énergie
et développement industriel), géopolitique (diminution de notre
dépendance aux pays producteurs de combustibles fossiles et surtout
d'hydrocarbures) et sociétal (développement harmonieux chez
nous et ailleurs).
De nombreuses idées fausses
La complexité des problèmes liés à l'approvisionnement
en énergie et l'intervention des idéologies biaisent le débat
par la propagation de nombreuses idées fausses dont voici quelques
exemples :
-Le pétrole et le gaz naturel vont bientôt se tarir :
Les réserves d'hydrocarbures sont immenses, même si elles ne
sont pas illimitées. En fait, ce sont les réserves faciles d'accès
qui se tarissent vite actuellement et l'on assistera inéluctablement
à l'augmentation rapide des coûts de production et des risques,
notamment pour l'environnement, liés à l'exploitation des gisements
: Mer profonde, zone Arctique, gaz et pétrole de schiste, sables bitumineux
du Canada, huiles très lourdes du Vénézuela, etc. Mais
il n'y a sans doute pas de risque de pénurie physique au cours de ce
siècle, car l'augmentation des prix poussera les consommateurs à
économiser ces énergies et/ou à en mobiliser d'autres
qui deviendront rentables.
-Les voitures électriques sont la solution pour réduire
la consommation de combustibles fossiles et les émissions de gaz à
effet de serre :
Apparemment logique mais ..pas si simple ! Bien entendu, les voitures électriques
ou hybrides consomment moins de produits pétroliers, mais encore faut
il fabriquer l'électricité pour les alimenter. Selon le «
mix » énergétique des différents pays, les émissions
de gaz à effet de serre peuvent être en effet fortement réduites
(comme en France actuellement), mais parfois augmentées (cas de l'Allemagne
qui fabrique son électricité principalement à partir
de charbon). 1l n'en reste pas moins que ces voitures polluent moins l'air
de nos villes !
-Le nucléaire peut (et doit ?) être remplacé par les
énergies renouvelables :
Sauf l'hydraulique pour partie et la biomasse, les énergies dites renouvelables
sont intermittentes et ne peuvent être exploitées à la
demande. Malheureusement et sans doute pour longtemps encore, on ne sait pas
stocker l'électricité en masse (sauf le pompage turbinage sur
un nombre de sites limité et avec une déperdition de l'ordre
de 50%) : 0n doit donc produire l'électricité à mesure
qu'elle est consommée. 0n comprend dès lors qu'à côté
des unités de production d'énergie solaire et éolienne,
il faille avoir des équipements disponibles pour assurer un approvisionnement
fiable du réseau. Aujourd'hui, la production de base de l'électricité
en France est assurée par les centrales nucléaires et l'hydraulique
au fil de l'eau (Rhin et Rhône principalement), les adaptations à
la consommation étant assurées par les centrales à charbon,
les turbines à gaz, l'hydraulique de haute chute et les échanges
avec les pays voisins interconnectés. Si la capacité de production
électronucléaire est réduite, il faudra donc mobiliser
de toute façon une puissance équivalente des centrales à
combustibles fossiles.
-L'indépendance nationale n'est pas meilleure avec le nucléaire
qu'avec le pétrole ou le gaz naturel car on doit importer l'uranium.
L'uranium est en effet importé, mais le marché en est très
limité, non cartellisé et de nombreux pays sont producteurs
d'uranium qui est acheté par un petit nombre clients - capables de
le convertir en combustible nucléaire selon des contrats à long
terme. La situation est donc radicalement différente de celle du marché
des hydrocarbures. De plus, il est facile de stocker des quantités
très importantes de combustible nucléaire à différents
stades de fabrication vu leur petit volume en regard de l'énergie contenue.
Enfin, il faut souligner que la contribution du coût de l'uranium est
très faible dans le coût de revient du kWh, de l'ordre de 5 à
10% à comparer à la contribution des combustibles fossiles brûlés
dans les centrales thermiques qui représentent au moins les 2/3 du
prix de revient du kWh. Ceci est capital pour la balance commerciale de la
France puisque plus de 90% du coût du kWh nucléaire est produit
en France contre moins d'un tiers pour les centrales thermiques.
-A moyen terme, les énergies renouvelables (solaire et éolien)
seront rentables sans aides publiques.
Actuellement, on en est très loin pour le solaire photovoltaïque
en particulier. Ceci tient au fait que cette source d'énergie électrique
est intermittente et est surtout disponible lorsque le kWh électrique
est très peu coûteux (en été particulièrement).
En effet, le prix du kWh varie énormément selon le niveau des
besoins et la nécessité de mobiliser des équipements
de production de plus en plus coûteux lors des pics de consommation
(jours de semaine en hiver). Si le kWh photovoltaïque était vendu
par
le producteur au prix de marché à l'instant où il est
injecté sur le réseau, il n'y aurait aucune rentabilité
envisageable, même avec un prix de revient des capteurs bien inférieur
à celui actuel. La situation est nettement moins mauvaise pour l'éolien,
surtout en mer, où la production ne suit pas l'ensoleillement. Toutefois,
précisons que les quantités d'énergie électrique
ainsi produites représenteront un appoint intermittent - certes potentiellement
important - mais seulement un appoint à la production de masse par
les moyens classiques (charbon, nucléaire, gaz naturel).
-Quelle stratégie pour demain et.après......demain ?
L'énergie implique, plus que tout autre secteur, une stratégie
à très long terme ! 1l faut dix ans pour construire un grand
barrage ou une centrale nucléaire qui produira pendant au moins 50
ans, des décennies pour construire un réseau dense d'électricité
ou de gaz naturel, etc. 1l s'agit là d'un défi dans nos pays
démocratiques où le cycle politique est rythmé par de
fréquentes élections, inclinant les décideurs à
des stratégies à courte vue pour satisfaire tel ou tel groupe
de pression.
La politique énergétique ne peut avoir de sens que si
elle s'inscrit dans la durée, bien au-delà des mandats électoraux,
à travers un consensus explicite des différents partis de gouvernement.
Ce consensus ne pourra se faire que s'il est sous tendu par un choix de société
: Souhaite t on ou non que la France choisisse de mener une politique de croissance
ou de décroissance économique ? Les deux opinions sont respectables
si elles sont sincères et conduisent à en tirer toutes les conséquences.
Si le choix est fait de la décroissance, comme préconisé
par certains écologistes, sans préjuger des explosions sociales
qui risquent d'en résulter, il serait possible de réduire sensiblement
la consommation d'énergie en lien avec une politique d'augmentation
des prix (exemple du carburant diesel souvent cité). Même dans
ce scénario, sauf à prendre des mesures de contrainte, la consommation
d'électricité ne baissera que lentement et l'évolution
du « mix » énergétique du pays ne pourra être
que très progressif, sous réserve que le pays ait les moyens
d'importer l'électricité qu'il ne voudra plus produire en arrêtant
progressivement ses centrales nucléaires.
Si le choix est fait, comme jusqu'à présent, de restaurer la
croissance économique, il est illusoire de prétendre qu'elle
puisse être compatible avec une baisse significative de la consommation
d'énergie en France. Bien entendu, le consensus est indiscutable sur
la mise en ?uvre d'un grand effort de maîtrise de la consommation, particulièrement
par la rénovation des bâtiments et par l'optimisation des transports,
mais ceci demandera du temps et des moyens importants.et une consommation
accrue d'énergie dans les industries fournissant les matériaux
requis. En parallèle, une politique de croissance devra se fonder sur
un renouveau industriel qui exigera tout naturellement un accroissement de
la consommation d'électricité - même si diminue la quantité
d'énergie globale par nouvelle unité de richesse produite. 0n
peut donc affirmer que, dès que la croissance économique sera
restaurée, la consommation d'électricité du pays va recommencer
à augmenter, alors qu'on peut valablement prévoir que se poursuivra
une faible baisse de la consommation de pétrole et de gaz naturel à
mesure des économies réalisées. Quant à la consommation
de charbon, elle dépendra directement de la politique de production
d'électricité : Soit la production nucléaire sera maintenue
au moins au niveau actuel, et la consommation de charbon sera juste stabilisée,
soit elle sera diminuée avec l'arrêt de centrales et la consommation
de charbon augmentera proportionnellement (comme actuellement en Allemagne).
Comme nous l'avons dit ci dessus, les énergies renouvelables pourront
apporter un appoint intermittent appréciable mais non garantir l'approvisionnement
fiable en électricité qui nécessitera également
l'utilisation des turbines à gaz (si possible dans le cadre de systèmes
chaleur force délivrant électricité et chaleur de façon
à maximiser le rendement global).
Bien entendu, ce scénario binaire est simplificateur et la perpétuation
d'une croissance nulle ou très faible pendant quelques années,
comme c'est prévisible actuellement, peut laisser le temps de mettre
en place les adaptations choisies, et en particulier d'engager une vigoureuse
politique d'économie d'énergie, notamment dans le résidentiel
et tertiaire.
Mais très clairement, dans cette hypothèse de croissance économique
voulue et retrouvée, les politiques devront choisir :
-soit de maintenir le parc électronucléaire par la prolongation
de la vie des centrales - moyennant une maintenance préventive et une
surveillance appropriées et leur remplacement progressif par des nouvelles
lorsque ce sera jugé nécessaire pour des raisons techniques,
économiques ou sociétales ; ceci signifie le lancement d'au
moins une centrale de type EPR tous les ans (vu la durée de construction
et la durée de vie résiduelle probable des centrales actuelles),
-soit de laisser décliner la production électronucléaire
avec l'arrêt progressif des centrales et de lancer la construction de
centrales à charbon en acceptant d'augmenter fortement les émissions
de polluants et de gaz à effet de serre, en contradiction avec les
engagements pris au niveau européen et mondial.
En toute honnêteté, tout autre choix n'est pas crédible
! Et cette décision ne peut être évitée, ou repoussée
aux calendes grecques ! 1l y a urgence car en dépendent de nombreuses
conséquences relativement à l'ensemble de la filière
nucléaire (de la mine au combustible, le retraitement, le recyclage
du plutonium en combustible M0X, le stockage des déchets), de l'industrie
de fabrication des centrales et de leur démantèlement, ce qui
représente des dizaines de milliers d'emplois dans le pays et une source
importante de devises. De plus, on voit mal comment exporter nos centrales
si la décision est prise de sortir progressivement du nucléaire
(cf. l'arrêt de l'activité nucléaire par le groupe Siemens
suite à la décision politique de fermer les centrales allemandes).
D'autres choix délicats devront également être faits
parmi lesquels je citerai :
-Peut on voir disparaître progressivement l'outil de raffinage français
et importer l'essentiel des produits pétroliers raffinés, ce
qui risque d'arriver sur la base de la seule logique économique à
court terme?
-Doit on ou non équiper les rivières de mini centrales hydrauliques
qui pourraient donner un appoint appréciable en hiver en particulier,
au grand dam de certains écologistes ?
-Doit on également construire des grands systèmes de stockage
d'électricité par pompage turbinage entre des réservoirs
de grand volume ?
-Peut on encore longtemps donner la priorité absolue aux fournisseurs
d'énergies renouvelables avec des tarifs très attractifs renchérissant
d'autant le prix moyen du kWh pour tous les consommateurs ?
A chacun de se faire une opinion, mais les faits sont têtus et mieux
vaut ne pas ignorer les réalités même si elles ne sont
pas conformes à ce qui est souhaité ou souhaitable. Les choix
sont devant nous et ne peuvent être différés ! Espérons
qu'ils puissent être le fruit d'un large consensus ..
Michel PERRUT
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